Pour les citoyens, toute accusation criminelle peu importe laquelle est une expérience douloureuse et éprouvante. Elle marque nos vies et est souvent lourde de conséquences à tous les niveaux, que ce soit au travail, au niveau familial ou communautaire.
Plus éprouvantes que toutes, sont les accusations de nature sexuelle. La médiatisation plus courante dans ce genre d’accusation fait en sorte que même acquitté, on se retrouve marqué à vie. La plupart du temps, on nous enlève notre emploi et la présomption d’innocence perd tout son sens, elle n’existe plus en fin de compte. Une fois accusé, c’est comme si on était coupable avant procès à cause des médias qui rendent publiques les inculpations dès le début des procédures.
Faisons une courte analyse historique en droit criminel en la matière. Avant 1987, aucune plainte d’agression sexuelle ne pouvait être retenue sans corroboration. Cela voulait dire, sans entrer dans la doctrine sur le sujet de la corroboration, que la parole d’un(e) plaignant(e) contre celle d’un(e) accusé(e) ne suffisait pas, il fallait d’autres preuves. Exemple: Un témoin oculaire, un aveu extrajudiciaire, une preuve matérielle indéniable, etc… Ne pas oublier que la preuve d’ADN n’existait pas à l’époque.
L’abolition de la nécessité de corroboration dans ce genre de crime fut une révolution en droit criminel. En effet, dès lors la parole d’une victime présumée suffisait contre la parole d’un suspect. Je ne formule cependant aucune critique à l’égard de cette transition marquante de notre histoire, car de toute évidence, cela était rendu nécessaire. On ne pouvait pas continuer à imposer le silence aux innombrables victimes de ces crimes qui jalonnent notre histoire simplement parce qu’elles ne pouvaient offrir de preuves ailleurs que par leur témoignage.
Toutefois, depuis le changement effectué il y a eu des conséquences qui ont mené à l’effet contraire, c’est-à-dire des fausses allégations d’agressions sexuelles. Je m’explique.
Mon premier cas fut dans le milieu de l’enseignement scolaire en 1987 quelque temps après les changements de la loi ci-haut mentionnés. On montrait aux élèves du primaire des vidéos où on invitait les enfants à dénoncer tout geste à caractère sexuel qui pouvait survenir dans leur vie. Ainsi on leur faisait entendre que cela peut survenir en milieu familial comme les ”mon oncle” et autres. On disait aussi que cela pouvait survenir à l’école de la part d’enseignant(e)s ou de personnels de soutien.
Très rapidement les élèves se parlant entre eux surtout lors des récréations, se questionnant entre eux et sans comprendre la portée de ce qu’on leur avait présenté, arrivaient facilement à la conclusion que certains gestes amicaux de professeurs devenaient sexuels à leurs yeux.
Ainsi tombèrent les premières dénonciations contre un professeur d’éducation physique où 8 enfants l’accusaient d’agressions sexuelles.
J’ai défendu ce professeur avec acharnement malgré toute la médiatisation et l’opprobre social. Je me suis battu pour que le syndicat paye les honoraires, car le client clamait haut et fort son innocence. Cela fut une rude bataille, car c’était une première au Québec. Les syndicats de policiers payaient les frais d’avocats quand le policier se disait innocent de même que l’association canadienne de la protection médicale le faisait quand un médecin se disait injustement accusé. Alors pourquoi pas un enseignant qui travaille au sein d’un important syndicat? Finalement le syndicat accepta de payer mes honoraires. Je disais d’ailleurs à l’époque aux représentants syndicaux pourquoi un professeur dans le cadre de son travail aurait à débourser des honoraires pour un geste qu’il n’a pas commis dans le cadre de son travail, pourvu qu’on croie à son innocence évidemment?
Après une trentaine de mois de batailles judiciaire dont j’évite les détails qui seraient trop longs à relater, l’enseignant a été acquitté de toutes les charges, mais pas sans laisser de graves séquelles. La première fut qu’il ne pouvait plus enseigner tellement il vivait dans la peur de se retrouver à nouveau devant la même situation. Un professeur d’éducation est très vulnérable, car il touche aux enfants et dans le contexte des changements à l’époque, un simple toucher aux épaules, au dos ou aux cheveux devenaient sexuels pour les enfants.
Une pluie d’accusations a été portée par la suite et ce partout au Québec. Je fus très occupé, car ma réputation au niveau des écoles fit boule de neige, j’ai été très en demande partout au Québec. Je n’étais plus simplement un avocat de la défense, mais un militant qui sensibilisa avec l’aide des syndicats, le gouvernement et surtout le Ministère de la Sécurité publique, des graves lacunes dans leurs enquêtes. Une simple allégation à l’époque, surtout au début, résultait à une inculpation qui finissait toujours par un acquittement. Il fallait réformer les enquêtes policières afin d’éviter les désatrueuses situations que vivaient les professeurs après leurs proclamations d’innocence par la cour.
C’est ainsi qu’on formula à Québec les ententes multisectorielles où de nombreux intervenants se concertaient maintenant dans les cas de signalements d’ordres sexuels. Les corps policiers ont dû être sensibilisés aux problèmes de fausses allégations d’abus sexuels de sorte que leurs enquêtes ont dû être menées avec plus de minuties et de discernements.
J’ose croire qu’aujourd’hui après plus de trente ans de recul, on n’accuse plus les professeurs aussi facilement qu’on le faisait à l’époque. Je ne dis surtout pas que l’exercice est impossible, au contraire, notre société est intolérante face à ce genre de crime, peu importe la situation, l’endroit et le contexte où cela peut se produire. Mais les corps policiers aujourd’hui ont plus d’expertises relativement aux possibles accusations de fausses allégations de gestes à caractère sexuel dans le milieu scolaire.
Ceci étant dit, je vous reviendrai dans un proche futur sur la situation des cas d’agressions sexuelles autres que dans les écoles où nous vivons actuellement une abondance de dossiers de cette nature. Elles méritent de la part du monde une réflexion un peu plus approfondie que celle présentée par les médias.